Georges Adéagbo inaugure le projet Atlantic en exposant une œuvre unique, spécialement produite pour ce nouveau lieu avec la collaboration de Stephan Köhler, Kulturforum Süd Nord. Ouidah d’hier et Ouidah d’aujourd’hui est une installation majeure dans la carrière de l’artiste, qui y fait pour la première fois l’archéologie de son intimité avec une ville exceptionnelle.
L’artiste y partage son savoir de l’histoire et des légendes de Ouidah, tout en évoquant ses propres souvenirs. Lieu de rencontre entre les morts et les vivants, Ouidah est une ville où l’influence du passé sur le présent se manifeste continuellement, où le temps observe nos actions. À chaque personne cherchant des réponses, l’installation de Georges Adéagbo propose des sources et des échos, des hasards du présent et des leçons à tirer du passé, une forêt d’indices dont nous pourrons ressortir avec une connaissance plus fine du monde et de nous-mêmes.
Ouidah d’hier et Ouidah d’aujourd’hui, 2022
« Imbriqués les uns dans les autres, hommes et choses font l’histoire. » Arlette Farge, Le peuple et les choses, 2015
Georges Adéagbo, est artiste, philosophe et conteur. A quatre-vingts ans, il voyage de continent en continent pour présenter ses installations, vastes collections élaborées spécifiquement pour l’espace d’exposition et le pays qui les accueillent. C’est à Cotonou, en 1971, que l’artiste a commencé à rassembler des objets et des écrits pour les disposer en installations. Ses premières collectes d’objets oubliés ou abandonnés ont lieu lors de promenades solitaires dans les vonsnocturnes de Cotonou et sur la plage, et donnent lieu à de petites installations dans la cour de la parcelle familiale. Sa pratique reste confidentielle jusqu’à ce qu’il reçoive en 1993, par hasard, la visite de Jean-Michel Rousset, assistant du commissaire d’exposition André Magnin. Dès lors, l’artiste connaît très vite la consécration : six ans plus tard, en 1999, il est le premier artiste africain à se voir décerner un prix du jury à la Biennale de Venise, pour son installation Venise d’hier, Venise d’aujourd’hui lL’histoire du lion, au Campo dell’Arsenale. Cet évènement marque aussi sa première collaboration avec Stephan Köhler, qui sera le coordinateur de toutes ses expositions.
La force des installations de Georges Adéagbo, est qu’elles évoquent directement sa vie, telle qu’elle lui est donnée, et telle qu’il la reçoit. Georges Adéagbo crée grâce à des objets trouvés et grâce aux œuvres des autres, réunissant livres, journaux, disques, sculptures ou vêtements pour les agencer minutieusement en frise, au sol et au mur. La simplicité apparente du procédé permet de réaliser l’essentiel : les choses sont là, et c’est à nous, lorsqu’elles croisent notre chemin, de prêter attention à leurs enseignements, d’accommoder notre regard à ce qui n’a pas été assez vu. L’artiste nous met sur la voie de cet exercice de lecture en laissant dans l’installation des traces de sa propre méditation, sous la forme de messages, proverbes, oracles et hypothèses écrits de sa main dans un français déconstruit.
Dans chaque livre, chaque objet et chaque image muette se cachent des réponses aux énigmes qui composent le monde. En les plaçant côte à côte et en laissant leurs relations formelles ou sémantiques provoquer la composition, Georges Adéagbo, permet à ces morceaux du monde de dialoguer, de construire une narration. Ce faisant, il installe un régime de réalité alternatif par rapport à la logique discursive héritée de l’Occident, une pratique visuelle et linguistique qui laisse la première place au monde, et non à l’artiste; à la spéculation empirique, plutôt que rationaliste. Grand conteur et grand ordonnateur, l’artiste pose des questions et laisse la réponse aux choses qu’il rencontre - la formule « l’art est dans la nature» revient comme un refrain dans plusieurs de ses installations.
La vie de Georges Adéagbo, marquée par la solitude et la souffrance, a été guidée naturellement vers un destin d’artiste reconnu. Autodidacte, il a gardé une grande liberté de parole dans le monde de l’art conceptuel. Il explique volontiers son travail sur l’espace, décrypte les messages que ses groupes d’objets véhiculent, nous livre avec franchise son histoire, ses rêves et ses convictions. Sa pratique de l’installation n’est pas séparée de sa vie : chaque jour, il cherche, classe et ordonne documents et objets qui nourrissent sa réflexion sur le monde. Dans son œuvre, on voit se réconcilier le familier et l’érudit, le fantastique et le fonctionnel, sans catégorisations hiérarchiques. Georges Adéagbo nous invite à prendre le temps de relire le monde avec une curiosité intacte. Les images sereines illustrant un calendrier peuvent côtoyer des sculptures du Moyen Age occidental et du Bénin actuel : comme dans la vie, le temps prend une qualité élastique et relative, les cultures se mêlent, les langages s’interpénètrent. Nous abordons des idées universelles - la religion, l’art, l’amour, la filiation, la connaissance - en explorant ce que nous avons devant nous, et en choisissant les choses qui nous apporteront des réponses. Cette disponibilité au monde est ce qui fait la grande radicalité de l’œuvre de Georges Adéagbo: contestant les systèmes logiques d’une culture occidentale dominante, déconstruisant la langue de l’ancien colonisateur, l’artiste propose un système ouvert dans lequel la pensée de chacun peut se déployer librement.